Un bienheureux lâcher prise

Un bienheureux lâcher prise

-Alors que bien des signes m’étaient adressés pour qu’enfin je décide de me poser, « J’avais choisi » de rester intérieurement tendu comme un arc depuis des années. Je vivais dans une soupe émotionnelle mêlant de multiples sentiments à l’arrière goût d’incompréhension, de trahison et d’une déception dont je me nourrissais chaque jour.

-Convaincu d’avoir été le jouet d’une injustice irréparable, laissé seul face au néant de mon cœur brisé, je me voyais être l’objet d’une farce, d’un jeu pervers dont j’étais le seul à ne pas en connaître les règles. Pour accentuer cette désagréable impression et depuis quelques temps, la vie s’efforçait à placer régulièrement sur mon chemin cette courte phrase : « LÂCHES-PRISE ».

-Je serrais les dents rien qu’à l’idée même de lâcher quelque chose. Dans un premier temps, j’ai perçu cette possibilité comme douteuse et inaccessible tellement elle m’avait fait souffrir. Devrais-je encore et encore me rappeler, me faire mal et me dire que c’était elle qui était partie brutalement, anéantissant tout ce qui comblait mon existence ?

-Huit ans venaient de s’écouler et rien n’avait vraiment changé si ce n’est que je me délabrais doucement ; fuyant tout espoir d’un mieux être et ressassant sournoisement l’épisode de son tumultueux départ. Malgré tout, à la faveur d’une journée un peu plus calme j’ai enfin accepté d’examiner d’un peu plus près ma façon d’être, d’agir et de réagir face aux événements de la vie.

-J’avais d’abord tellement d’orgueil qu’être quitté ne pouvait pas entrer dans le champ des possibles. Je mettais un point d’honneur à éconduire, à congédier afin de garder le contrôle et surtout la tête haute. N’avais-je pas été éduqué dans l’excellence et conditionné à croire que l’échec éviterait de croiser ma destinée ?

-En voyageant comme un observateur à travers ce que j’avais vécu jusqu’ici, j’ai progressivement identifié de nombreux dysfonctionnements. Des croyances auxquelles je m’accrochais depuis l’adolescence s’étaient tellement fixées dans mon mental qu’elles gouvernaient ma vie, m’empêchaient d’être libre et je le découvrais à l’instant, m’empoisonnaient lentement l’esprit.

-C’était tout un monde préfabriqué qui se fissurait et l’épais rideau de mes résistances laissait entrevoir la prison intérieure dans laquelle j’avais pris mes quartiers bien avant qu’elle décide de partir. Pour la première fois je m’ouvrais à l’idée qu’un seule et même personne s’échinait à tendre la corde qui épuisait mon corps et décourageait mon âme. Je m’étais tellement attaché à sa bonne humeur, à son sourire, à sa patience, qu’elle avait rejoint l’ensemble des êtres et des choses que je croyais posséder.

-En ouvrant doucement mon esprit et en élargissant mon point de vue, j’ai pris conscience que mon comportement avait fini par la décourager. Je l’avais certes installé dans un écrin doré dans lequel je brillais par mon absence ; toujours par mont et par vaux en quête de quelques affaires juteuses. De façon très immature, j’avais rangé sa présence parmi les avoir tout en évitant d’être avec elle le plus possible.

-Je me voyais enfin me débattre dans une vie cloisonnée, auto-conditionné et presque heureux d’avoir tourné le dos à un possible nouvel amour depuis des années. J’apercevais enfin cette partie de mon être qui m’emprisonnait dans la non acceptation de son départ, absolument certain d’être une victime malheureuse et rejouant sans cesse la scène du petit garçon abandonné.

-Je découvrais peu à peu cet entêtement maladif, ce dialogue intérieur empli de noirceur, cette colère étouffée par le refus de lâcher de vaines convictions. Vivant sous tension permanente et refusant coûte que coûte la possibilité de me remettre en question, je m’étais emmuré dans la rancœur et l’accusation systématique envers la vie et ce qu’elle me faisait endurer.

-A cet instant, j’accueillais de nouvelles perceptions à l’égard de ma propre souffrance. Je ne pouvais plus douter du fait que j’étais bien celui qui jouait à la fois le rôle de la victime et du bourreau dans cette dramaturgie sentimentale. Je m’étais imposé cette tristesse comme l’on décide de se mettre au pain sec et à l’eau et la force de mes conditionnements mentaux avaient fini par rétrécir douloureusement mon élan vers les autres.

-Dans le même temps, je ressentais un profond soulagement et je laissais ma conscience s’ouvrir à de nouvelles compréhensions vis à vis des forces qui jusque là avaient gouverné ma vie. J’acceptais de me trouver ridicule et ratatiner dans mon ignorance tout en apercevant les vraies qualités d’être étouffées par mon ego. Par je ne sais quel mouvement intérieur, je me suis surpris à sourire, presque léger et serein. C’était la première fois depuis des années que je me sentais détendu.

-Oui, je pouvais me libérer définitivement de cette geôle et dans le même temps la libérer. En acceptant de transformer toute l’énergie négative dans laquelle je nous maintenais, je lâchais pour de bon de vieilles tensions physiques, des crispations intérieures et des poisons psychiques. J’entrais enfin dans un grand nettoyage par une juste appréciation des choses, libre et lucide quant-à ma vulnérabilité, bien décidé à lâcher le plus possible ce qui me faisait souffrir depuis trop longtemps.

-Le regard neuf et le cœur allégé, son visage m’est apparu. Elle était toujours aussi gracieuse, je me surpris à ressentir de la tendresse et un réel détachement face aux derniers instants partagés. Silencieusement, je lui est demandé pardon à plusieurs reprises, laissant de grosses larmes jaillir du tréfonds de mon être.

-Était-ce cela le fameux lâcher prise proposé au menu des revues destinées à notre bien-être et à l’éveil de notre conscience ? Avais-je enfin réouvert la porte de ma cellule ?

-Je n’en savais rien, je n’étais sur que d’une chose, je me sentais simplement bien, comme délié intérieurement et à nouveau prêt à prendre le risque d’aimer pour grandir encore un peu. J’ai ouvert la porte de la maison comme un prisonnier enfin libre. J’ai rendu grâce à la beauté qui emplissait mes yeux assoiffés de liberté, sentant mon corps et mon cœur parcouru d’un onde bienfaisante.

– La terre sentait bon et tout avait l’air si vivant. Célébrant mon retour dans le flux de la vie, je me suis laissé guider par l’instant, savourant cet étrange sentiment de paix. Je respirais, et ce simple constat m’emplit d’une indicible joie.

O.V