Renaissance

Renaissance

-J’avais réussi péniblement à accepter et à m’accepter malgré la lourdeur dans laquelle je vivotais depuis plus de 40 ans. Au fond de mon cœur, par dessus les pierres et les lichens qui s’étaient installés en réponse à l’inacceptable, quelques frêles éphémères commençaient à se frayer un chemin.

-Mon corps avait été malmené, cassé, de la petite enfance jusqu’à à l’aube de mes 18 ans et je n’avais cessé de fuir ce tremblement intérieur, cette détresse de l’âme. Alternant des périodes d’isolement et d’hyperactivité afin d’étouffer le moindre cri de l’enfant resté emmuré dans la terreur, j’avais pris soin de me couper de toutes les tentatives d’aimer.

-De l’amour, il ne me restait rien qu’une vague impression de danger imminent, juste un risque que je ne pouvais pas prendre tellement l’idée m’apparaissait chaotique et inquiétante. Heureusement, après des années de souffrance et d’errance, j’ai pris la décision de m’autoriser à vivre petit à petit.

-J’ai trouvé la force d’affronter cette déchirure profonde, ces images nauséabondes, et des personnes m’ont aidé sur le chemin de la métamorphose. J’ai appris à reconnaître les besoins de mon corps et je l’ai doucement retrouvé, redressé. J’ai plongé avec courage dans ce volcan émotionnel chargé de colère, de honte, de dégoût, libérant ainsi la force vitale stockée dans ces lourdes mémoires.

-Mes larmes ont emporté les petits cailloux qui obstruaient la porte de ma sensibilité et empêchaient ma vie de s’ouvrir à la vie. En accueillant de nouvelles compréhensions à l’égard de ce que j’avais enduré, j’arrivais de mieux en mieux à regarder cette partie de mon vécu d’une perspective plus vaste.

-La libération des premières tensions musculaires et viscérales correspond en réalité au moment où je suis entré dans une nouvelle relation avec ce corps, avec le corps dans lequel je n’arrivais pas à vivre depuis si longtemps. En tentant de lui accorder une nouvelle place, en veillant à ne plus le maudire silencieusement, en apprenant à l’écouter à travers des émotions que je découvrais pour la première fois, j’ai ressenti qu’il était possible que je le considère comme un allié.

-C’est alors que j’ai découvert toute une palette de nouveaux sentiments. Des bouffées de tristesse mêlées de compassion émergeaient alors que je croisais ma silhouette, décidé de ne plus fuir et d’accueillir mon humanité malgré tout. En prenant conscience de la souffrance psychologique dans laquelle j’avais grandi, j’ai compris que je l’avais installé comme une compagne, comme le seul « mérite » que cette existence m’avait accordé jusqu’ici.

-Petit enfant ignorant le pouvoir des grands, à la violence des coups reçus, j’avais répondu par la cruauté de mes yeux quand il frôlaient accidentellement le miroir. Quant-à la noirceur des paysages que je dessinais dans l’imaginaire, ils m’avaient coupé de cette quiétude dont je devinais doucement la saveur.

-Une plus grande conscience du caractère sacré de la vie, même quand elle est poussée sur des récifs par de dangereuses forces, m’a profondément aidé à accéder à la source de mon être. J’ai libéré la tendresse de sa prison, en offrant à mon corps le premier de mes pardons. A la faveur du travail que j’entreprenais pour guérir de ces profonds traumatismes, je m’aperçus que rien ne justifiait l’automutilation que je m’infligeais depuis de nombreuses années.

-Je n’ai rien oublié de ces jours tristes et sombres car en réalité, nul ne peut oublier. J’ai simplement décidé de rompre les liens qui m’attachaient à cette autre vie, patiemment, un à un, regardant celles et ceux qui m’ont cabossé comme autant de visages déchirés par une insondable torture. Je n’aurai jamais imaginé qu’un jour je puisse envisager de leurs pardonner. Pourtant, un espace dans ma conscience s’est ouvert et je laisse cette idée mûrir silencieusement.

-Avec étonnement, je perçois maintenant de nouvelles forces se mobiliser dans mon être tout entier. La paix si longtemps espérée semble gagner du terrain et le désir de dire enfin oui à cette vie pousse la porte de mon cœur. Pour la première fois depuis un temps que je ne peux mesurer, je me sens un peu plus libre et j’habite pleinement mon corps.

-Aujourd’hui je suis enfin debout, vivant, conscient du chemin qu’il me reste à parcourir et soulagé de voir que tout reste possible,y compris le fait d’aimer et de connaître l’amour des autres.

O.V