L’arbre Source

L’arbre Source

-J’avais décidé de profiter des premières lueurs du jour pour me faufiler dans la campagne et partir à la découverte d’un de ces très vieux arbres encore debout dans notre région. Je jubilais à l’idée de cette rencontre tant mon attirance pour le peuple des arbres était intense et viscérale.

-L’aube s’installait dans la douceur d’un printemps prêt à s’abandonner aux premières chaleurs du solstice et la terre vibrait sous mes pieds. D’incroyables effluves colorées et parfumées m’enveloppaient dans une atmosphère légère et envoûtante. La campagne s’éveillait et tous les peuples qui y vivaient célébraient le retour de la lumière. J’étais simplement heureux d’être là, dans le silence de cette mélodie matinale. Je ressentais l’appel d’une force qui s’écoulait autrement que dans le faire et qui m’appelait vers « l’ hêtre ».

-J’avais marché d’un bon pas et je m’étais enfoncé dans la partie la plus boisée de ce lieu-dit au nom enchanteur. Les sens pleinement éveillés et l’âme touchée par la beauté qui grandissait mes yeux, j’entrais à l’instant dans une cathédrale à ciel ouvert.

-Chênes, hêtres, châtaigniers, ormes, noisetiers, tilleuls et autres arbustes s’étaient établis au sein d’un espace luxuriant étonnement ordonné. Alors que je pressentais déjà l’énergie du vieux « m’ hêtre », je me mis à sautiller d’un arbre à l’autre, comme guidé par quelques présences complices et amicales. A cet instant, je le vis jaillir parmi la multitude. Ces immenses bras chargés de la mémoire ancestrale m’appelaient à lui. Son corps sans âge, robuste, et son gigantesque tour de taille invitaient à une danse sacrée pour honorer sa présence.

-Je sentais que je pouvais m’approcher et je m’adossais doucement à son tronc protecteur. En levant mon regard vers la cime, une fenêtre végétale s’est ouverte et je fus aspiré dans un songe dont voici la teneur :

« – De la mère des mers mes forces ont pris naissance alors que l’homme n’était pas encore enfanté. Dans une eau pure et nourricière mes racines se sont forgées. Quand les grandes eaux se sont retirées, dans le sol je me suis profondément enfoncé. La terre et le ciel sont mes demeures, je suis l’ arbre de vie, de la connaissance et de l’abondance. Je suis aux règnes du vivant ce que la mère est à l’enfant, un refuge, un abri, le siège de la vie.

-Inlassablement j’offre et j’accueille, j’ai reçu le don d’amour pour nourrir tous les peuples de la terre, je suis la substance, la subsistance, l’union du ciel et de la terre, la rencontre sacrée du masculin et du féminin.

-Je suis le bois de ta maison, ta fleur de guérison, l’ombre fraîche qui parcourt ton balcon. Je suis la matière première, la mémoire des lunes et des soleils, le témoin silencieux des mystères de la nature. Éternel confident des âmes rêveuses et vagabondes, je suis le gardien de la terre, consolateurs des cœurs en peine et des animaux blessés.

-Je suis le père qui protège et rassure, la mère qui nourrit et berce. Mon royaume est la liberté car je connais la sagesse, la patience est la sève qui me traverse et me forge. Je suis l’un des premiers témoignages de l’intelligence qui se déploie sur cette si belle planète. Je suis conscience, je suis vivant alors si tu n’entends pas mon cœur qui bat, que tu me considères comme un vulgaire morceau de bois, je t’offre encore mes bras pour accueillir ton ignorance.

-Je suis le feu qui réchauffe ta demeure, les feuillages qui t’offrent la tranquillité, la ressource des sociétés, le chemin de la prospérité. Je suis le papyrus des divinités. Je suis ton frère l’arbre qui t’appelle à la source et t’éveille à la beauté, au courage pour évoluer et au respect de la terre que nous partageons depuis la nuit des temps.

-Je t’invite à plonger tes racines dans le ventre de la Terre-Mère, je fertilise ton cœur de la douceur de ma présence. Ensemble, nos bras levés vers le ciel, nous formons la grande famille des gardiens de la terre. Je te rappelle à ta mission, t’accorde mon pardon et t’invite sur le chemin d’une nouvelle floraison.

-Dans le grand cercle formé autour de ma présence soyez les bienvenus, enfants de la terre petits et grands, peuples des bois et des rivières, petits êtres cachés sous les pierres. Nous voici donc tous réunis autour du grand « m’ hêtre » pour célébrer sa force et transportés par l ‘effervescence d’une ronde, scellons en notre cœur cet instant de partage entre toutes les communautés.

-Soudain, le vrombissement d’un bourdon dodu m’extirpa de ce rêve éveillé et je me retrouvais là, comme éparpillé dans la moindre cellule d’air. J’étais arbre et humain à la fois, aussi solide que le bois, naturellement soumis aux cycles de la nature, embarqué dans la grande aventure.

-Le soleil pointait presque au zénith quand je me suis enfin levé. J’ai rendu grâce à la sagesse du vieux « m’ Hêtre », espérant pouvoir un instant le prendre entièrement dans mes bras. Je sentais sa vie sous mes doigts et sa tendresse infusait mon âme comme un vieil élixir gorgé de connaissance, de joie silencieuse.

-J’ai repris le chemin du retour gambadant dans les hautes herbes et comme une coupe, je m’étais offert à l’ancêtre des lieux. Empli de gratitude envers un ordre qui me dépassait et gravée dans mon esprit, je garde une phrase qui résonne encore comme un troublant présage :

« -Quand l’être humain servira ses frères et sœurs tout comme l’arbre sert l’humanité, la paix s’installera sur la terre. »

O.V